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Qu'est-ce qui a fait le succès de Bordeaux au Moyen Age ?

Bordeaux est aujourd'hui l'une des six régions les plus importantes de France et certains diront que c'est la région viticole la plus importante de France. Mon professeur WSET me disait de commencer par étudier Bordeaux si je voulais mieux comprendre le vin.

Je pense aussi qu'en étudiant l'histoire de quelque chose, on la comprend mieux aussi. Et le vin à Bordeaux, ou devrais-je dire, Burdigala, revient de loin. Il y avait du vin à Bordeaux au Moyen-Âge, même s'il n'était pas aussi célèbre qu'aujourd'hui…

Alors, qu'est-ce qui a fait le succès de Bordeaux au moyen-âge ?

RESUME : Cet article explique, chronologiquement, le contexte de Bordeaux au moyen-âge : leurs vins étaient loin derrière ceux de La Rochelle, qui était en plein essor. Dans cet article, vous comprendrez comment Bordeaux a utilisé les deux guerres de Guyenne pour renverser la situation et comment il en est même venu à mettre en place "le privilège de Bordeaux", où SEUL Bordeaux pouvait vendre ses vins. Pourquoi n'y a-t-il plus de vins dans le Haut-Pays ? À l'inverse, comment Bergerac, Gaillac et Cahors ont-ils survécu ?

Le succès bordelais au moyen-âge : le contexte

Commençons par faire quelques rappels royaux : Aliénor d'Aquitaine était la fille aînée du duc d'Aquitaine : William X. Elle devint duchesse à l'âge de 14 ans après la mort de son frère en 1130 et de son père sept ans plus tard. Le 25 juillet 1137, elle épouse le futur Louis VII, qui devient, a fortiori, duc d'Aquitaine.

Cependant, n'oublions pas que le titre vient d'elle donc lorsque leur mariage est dissous en 1152, c'est elle qui garde le titre. Elle se remarie la même année avec Henri Plantagenent, le faisant à son tour duc d'Aquitaine. Ce dernier devint roi d'Angleterre deux ans plus tard. Ainsi, l'Aquitaine, et donc Bordeaux, était liée au royaume d'Angleterre.

Ils eurent huit enfants, dont deux rois dont les noms ont traversé les âges : Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre.

Revenons à ce qui nous intéresse : BORDEAUX ! A noter qu'au Moyen-Age, Bordeaux était non seulement en concurrence avec La Rochelle sur les marchés de Flandre et de Grande-Bretagne, mais elle était aussi bien loin derrière. Dans l'édit de 1199 répertoriant les régions viticoles de France, du moins les régions d'où provient le vin consommé en Angleterre, Bordeaux n'y figure pas. (incroyable, maintenant qu'on connait l'influence de Bordeaux aujourd'hui, non ?

ANECDOTE: Selon Roger Dion dans son livre Histoire de la Vigne et du Vin, Bordeaux est même accusé, en 1241, de n'avoir eu que de la haine pour La Rochelle : « semper habent Rupellam in odio ».

de idealwine.net

Cependant, cette même année, les bordelais demandent à la reine Aliénor d'abolir certaines coutumes relatives à la vigne. Les Bordelais étaient assurément pleins d'espoir ! Cette demande a été acceptée le 1er juillet. De plus, Saint-Emilion sera le premier vin exporté.

En résumé, Bordeaux est derrière La Rochelle et ose s'adresser au royaume d'Angleterre : pourquoi une telle impertinence ? Avoir confiance en soi, c'est bien, mais sur le moment, une telle demande aurait aussi pu avoir de lourdes conséquences.

La Rochelle est peut-être en avance sur le marché, mais Bordeaux a des atouts indéniables sur ce dernier. La Rochelle n'a pas d'évêque et sa paroisse centrale n'a pas 100 ans. Et Richard Cœur de Lion a séjourné dans un palace bordelais.

ANECDOTE: Comment Richard a-t-il été accepté par les Bordelais ? « en prenant les manières d'un souverain national… Il a chanté en Limousin et vécu à la campagne » selon Roger Dion. Il favorisait aussi le commerce de la bourgeoisie.

Suite à cette demande, les premiers actes de Jean-Sans-Terre furent de fournir du vin de Bordeaux à la cour d'Angleterre. Les habitants de La Rochelle (les Poitevins) voient cela d'un mauvais œil (forcément !). Mais qu'ils se rassurent, les vins d'Anjou restent les grands favoris du roi d'Angleterre et le vin de La Rochelle reste privilégié par rapport à celui de Bordeaux.

ANECDOTE: Roger Dion le prouve : « Faites donner au comte de Salisbury dix tonneaux de bon vin d'Anjou » écrit le roi en 1204.

À qui profite le crime ?

On dit que le malheur des uns fait le bonheur des autres, Bordeaux a su profiter des guerres menées contre la Guyenne au XIIIe siècle.

de plus grand.org

En 1206, à la fin de la PREMIÈRE Guerre, où Bordeaux joue un rôle indéniable, les jurats de ce dernier sont nommés dans une lettre du roi : « Rex majori et juratis… de Burdegala ». Les vins, parce que la qualité était là aussi, figuraient de plus en plus souvent sur la table royale. En 1215, Jean-Sans-Terre achète 120 tonneaux de vin de Bordeaux pour son usage personnel.

En 1224, lors de la SECONDE guerre menée par le roi de France Louis VIII, le 3 juillet pour être précis, les Rochelais se rendent. En effet, cela leur a permis d'étendre suffisamment (c'est-à-dire sans avoir recours au marché britannique) leur exportation vers les pays de la mer du Nord et de la Baltique.

A qui profite ce crime ? Bordeaux bien sûr qui rapporte tout au royaume anglais. En 1222, Bordeaux demande l'autorisation de nommer un maire (les maires étaient jusque-là des fonctionnaires royaux). Après quelques allers-retours de lettres, ils obtiennent gain de cause le 13 juin 1235.

En effet, une première lettre, qui leur avait été envoyée le 10 juillet 1224 leur accordait ce privilège «quamdiu nobis placuerit» (c'est-à-dire « le moment que nous aimons »). Bordeaux a négocié pour que cela se transforme en «imperpétuum" à perpétuité.

Bordeaux en profite pour conquérir d'emblée le marché britannique. Ils devinrent rapidement les principaux fournisseurs des châteaux royaux d'Angleterre.

Cette reprise des exportations a transformé le port de Bordeaux, par l'afflux de navires.

de martinez-fleurot.com

ANECDOTE: Dans une lettre de 1670, le marquis de Seignelay, fils de Colbert qu'il adresse à son père : « C'est une chose très agréable de voir que le port de Bordeaux pendant la foire. La ville paroist en naufrage et le port, qui est en croissant et qui s'appelle à cause de cela le prot de la Lune, se pare de 7 à 800 navires, tant François qu'étrangers qui viennent charger les vins, qui font toute la fortune du pays » nous dit Roger Dion dans son ouvrage Histoire de la vigne et du vin.

Ce changement s'applique non seulement à Bordeaux mais aussi à la Dordogne avec Bergerac, Cahors et Gaillac dont les vins figurent également sur les tables royales. Gaillac est aussi l'un des plus anciens centres viticoles. Son climat lui permet de récolter en plus grande quantité et régulièrement.

Le privilège de Bordeaux sous le royaume anglais…

La flotte viticole quitte l'Angleterre aux premiers jours de l'automne pour arriver en Gironde dans la première quinzaine d'octobre. Ils y passent ensuite près de 8 semaines (c'est aussi à cette époque que se tient la foire de Bordeaux) puis repartent pour l'Angleterre avec les vins de l'année tout juste mis en barriques.

Le gros problème dans ce métier était le manque de concurrence bordelaise. Ce dernier prend même l'initiative d'interdire à tout non-bourgeois de vendre ses vins avant que les bourgeois aient fini et d'interdire à Agen de baisser ses vins à l'exportation avant le 11 novembre.

Le « privilège de Bordeaux » avait commencé et durera pendant plus de cinq siècles.

Cependant, on soupçonne que si cette situation a duré si longtemps, c'est parce qu'il y avait le soutien du royaume anglais.

En effet, lors de la première guerre de Guyenne, les villes de Cahors et d'Agen avaient porté secours au royaume de France lors de la reconquête du pays par le roi de France.

Edouard III, roi d'Angleterre, leur interdit, dans un mandat de 1373, de livrer leur vin avant Noël. Cela permettait à Bordeaux, en cas de mauvaise récolte, de remplacer les vins de Bordeaux. Bordeaux passait également par ses villes pour son approvisionnement en blé, c'est pourquoi le roi Henri IV d'Angleterre imposa qu'un baril de blé soit livré à Bordeaux tous les deux barils de vin.

… et sous le royaume de France

Cependant, entre le XIIe et le XVIIe siècle, Bordeaux est reconquise par le Royaume de France. Pourquoi ces interdictions n'auraient-elles pas été levées par le roi Charles VII en octobre 1453 lorsqu'il franchit les portes de Bordeaux ?

Pour rappel, cela marqua le début de la guerre de Cent Ans.

de Fonds

Ces interdictions ont été initialement suspendues, à partir du 9 octobre de la même année.

Avec la guerre et la levée de ces interdits, Bordeaux dépérit si vite que le royaume de France en vint à craindre les conséquences de sa reconquête. Dès le 11 avril, ils rétablissaient à nouveau certaines de ces interdictions, et en 1461, Bordeaux avait retrouvé tous ses droits (et les autres communes toutes leurs interdictions).

De plus, afin d'éviter que les vins du Haut Pays ne soient confondus avec ceux de Bordeaux, ils avaient l'obligation de les décharger dans un lieu extérieur à la ville : le faubourg des Chartreux.

Toutes les autres communes étaient soumises à ces interdictions ? Non! Car un village peuplé d'irréductibles Bergeracois résistait encore à l'envahisseur. En effet, seul Bergerac était exempté de ces interdictions car, par le tracé du fleuve, ils ne passaient pas par Bordeaux. Sa situation géographique n'était pas son seul avantage.

En effet, au début du XVe siècle, c'était la seule ville que possédait l'Angleterre. Et même lorsqu'il revint au royaume de France, cette ville ne fut jamais soumise aux mêmes interdictions.

Ce "privilège bordelais" atteint son paroxysme avec l'édit royal de 1776 qui impose que tous les vins étrangers à Bordeaux ne soient pas livrés avant les fêtes de Noël. Ces mêmes vins devaient quitter Bordeaux avant le 8 septembre de l'année suivante et enfin, ils étaient stockés dans des barriques moins résistantes et de volume moins avantageux.

Impact géographique du « privilège bordelais »

Les effets de ce privilège sont encore présents à ce jour. La production en amont de Saint-Macaire a totalement disparu alors que scientifiquement, son terroir est plus avantageux. La vigne cède la place aux arbres fruitiers dans d'autres régions.

Bergerac, Cahors et Gaillac ont cependant continué au XVIIIe siècle à asseoir leur réputation du Moyen-Âge. Nous avons vu l'avantage de Bergerac. Cahors a été gâté par la nature, ce qui a donné à ses vignerons des moyens efficaces de se défendre contre Bordeaux.

Les circonstances géographiques et les circonstances historiques créées par la guerre de Cent Ans ont permis à Bordeaux d'établir ce « privilège » et de le maintenir si longtemps. Une autre chose qu'on peut admirer chez eux, c'est qu'ils avaient un sens très juste de la limite à ne pas dépasser.

Une autre influence pour Bordeaux sera celle des Hollandais, mais l'histoire sera pour un autre poste !

Qu'est-ce que tu penses? As-tu d'autres anecdotes à ajouter ? Dis-moi dans les commentaires!

6 Commentaires

  • Jesse

    Merci beaucoup pour cette leçon d'histoire. Pour être honnête, je ne m'étais pas rendu compte qu'il y avait tant de choses dans le succès de Bordeaux au moyen-âge. Je pensais juste que c'était en grande partie de l'argent et que je pouvais faire du bon vin hahah. Il est intéressant de voir comment il a basculé entre l'Angleterre et la France, mais cela l'a rendu encore plus réussi en raison de sa situation géographique. Merci d'avoir donné cette petite leçon d'histoire ! 

    • Mademoiselle

      Merci d'être passé et j'ai adoré que vous ayez appris quelque chose. Je trouve absolument fascinant le pouvoir et l'histoire du vin. Le vin ne vient pas des meilleurs terroirs mais il est le fruit d'actions politiques

  • Lien supérieur

    Quelle belle histoire de compétition et d'histoire de guerre et comment elle a permis aux vins d'être reconnus. Apparemment, la politique à travers l'histoire a eu un impact énorme sur les vins qui sont appréciés aujourd'hui. Bordeaux est un vin qui a survécu à de nombreuses années d'histoire et a développé une réputation qui n'a été acquise qu'au prix de beaucoup de temps et de persévérance.

    • Mademoiselle

      Exactement. Bien que le vin doive être de bonne qualité, l'impact des hommes explique beaucoup la disposition des différents vignobles en France.

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